RATSIRAHONANA Tiasoa Samantha, le travail d'arrache-pied d'une jeune cheffe d'entreprise digitale

L’entrepreneuriat à Madagascar semble compliqué pour les jeunes avides de succès. Ils trouvent difficilement leurs points de repères et doivent subir les exigences des leurs patrons qui scrutent le moindre faux pas. Mais, si travailler dans un climat d’anxiété ne produit que dépression, certains jeunes optent pour l’entrepreneuriat même si cela leur fera sacrifier beaucoup de choses. En voici une preuve.

A qui avons-nous honneur aujourd’hui ?

Je m’appelle Ratsirahonana Tiasoa Samantha, Samantha pour les intimes. J’ai 27 ans, je suis entrepreneure, également bloggeuse, en même temps journaliste freelance. J’ai suivi un parcours de journalisme et communication à SAMIC-ESIC, Saint-Michel Amparibe.
#" Pourquoi avez-vous choisi ces métiers ?
Que dire ? Mon métier principal, c’est de gérer une agence digitale et à la fois un blog d’informations, Book News Madagascar. A la basse, je voulais surtout avoir mon propre desk, mon propre journal, si vous voulez. Après avoir expérimenté les contraintes d’en avoir un à Madagascar, j’ai réalisé que c’était difficile si on n’est dépourvu de moyens, si on n’appartient pas à un groupement d’entreprises, quelque chose dans ce genre. Étant passionnée de tout ce qui touche le digital et la technologie, au fur et à mesure de l’avancement du projet, j’ai réalisé que ce serait possible d’entreprendre en ayant une agence digitale. C’est-à-dire en combinant les deux à la fois d’où le concept entre autres de Book News Madagascar, un blog, mais surtout une agence digitale.

Depuis êtes-vous dans ce secteur et qu’est ce qui est défiant en étant jeune dans ce milieu ?

Book News Madagascar est formelle depuis 2018, mais j’ai commencé à entreprendre, je dirai, depuis 2017. En somme, cela fait 5 ans. Et c’est ce qui est défiant en étant jeune. Déjà, au niveau de la crédibilité, car la plupart du temps, les gens vous négligeront car vous êtes encore jeunes. Ils ne vous prendront pas au sérieux. L’âge, l’expérience, soit le manque de ne pas encore pouvoir maîtriser tout, selon leurs perceptions. C’est aussi le fait qu’il y ait déjà pleines de personnes qui ont entrepris avant vous, qui ont déjà de la notoriété, en plus, le fait de devoir et savoir intégrer le cercle. C’est ce qui est très difficile. Le reste va de soi, une fois qu’on a trouvé comment s’en imprégner.

Chef d’entreprise, jeune femme, avez-vous le sentiment que votre vie ne ressemble pas à celle de votre génération ? Pourquoi ?

Subséquemment, oui. En tant que chef d’entreprise et jeune femme, j’ai vraiment le sentiment que ma vie ne ressemble pas à celle de ma génération. Tout simplement car ce n’est pas déjà toutes les femmes Malagasy vivant à Madagascar qui entreprennent et pareillement aux autres mondes. Ensuite, une vie de chef d’entreprise est inhabituelle. Le rythme, la façon de vivre, de penser, la vision, l’éthique, la philosophie, tout cela n’est nécessairement pas la même chose comme qu’on a une vie que je dirais « normale ».
D’autre part, ce n’est pas évident à Madagascar d’entreprendre quand on est une femme. Cela est dû au fait qu’on a des subordonnés, hommes. De par de là, c’est déjà quelque chose. Ce n’est pas tous les hommes qui acceptent, d’ailleurs, cette situation professionnelle malgré quelques mouvements sur l’égalité de genres dans le milieu professionnel et autres.
Et pour ma part, je ne suis pas encore mariée, alors qu’à mon âge socialement dans ce pays, si on n’est pas marié, on est qui dirait en retard. Il y a un « truc » qui cloche chez soi. Rires. Je me fais souvent jugée car je n’ai pas cette vie de femmes mariées qui devraient avoir des enfants etc., et toutes les soi-disant normes imposées par notre société, bien évidemment.

Qu’est ce qui est difficile aujourd’hui dans votre métier ?

Il y a trois choses difficiles. De un, le stéréotype qu’on a des femmes. Je te parle du cas de Madagascar, des femmes qui devraient être dans les « normes sociales ». Mais à la place, vous entreprenez, créez votre propre société, comme si vous n’avez rien de mieux à faire. Rires. Peu importe ce que l’on fait, en effet, tant que l’on est femme, on a cette image de femmes. Malheureusement, il y a aussi cette « objetisation » de la femme qui est encore très répandue dans la société Malagasy. Quasiment, quand vous êtes une femme, que vous soyez entrepreneure ou pas, les hommes vont vous draguer, vous allez voir un client, un partenaire, ils vous draguent délibérément. Donc, c’est très courant et assez embêtant car cela empêche d’avancer. On est arrivé à s’obliger de mettre des limites aux relations même si on devrait être ouverts d’esprit parce que certains hommes se comportent ainsi.

De deux, c’est l’administration. C’est le problème de tout Malagasy possédant une entreprise. L’impôt synthétique, pour ma part, est très lourd, car j’ai beaucoup du mal à le gérer par rapport au fait que je sois formelle. C’est lourd pour la société, cela devient une charge. Chaque mois de mars, je dois me charger des impôts que je dois refluer pendant les prochains trois mois dans la caisse de l’entreprise.
Et enfin, le monopole. Les entreprises qui ont déjà leurs noms dans le secteur ont un monopole. Non seulement elles deviennent une concurrence, mais elles arrivent jusqu’à vous dénigrer jusqu’à faire du « cyber bulling » etc., bien qu’il soit fameux qu’en affaire, il n’y a pas de sentiment et que tout soit permis. C’est difficile de casser le monopole et d’avoir de la crédibilité conformément à ces éléments. Bien que la technologie puisse aider beaucoup, mais elle peut être un poison à l’occurrence justement de cette forme d’attaques de concurrents qui prend d’ampleur dans l’entrepreneuriat à Madagascar.

L’entrepreneuriat attire beaucoup de monde, mais en fait peu de réussite, quelle serait la cause, selon vous ?

Il n’y a point de liste exhaustive pourquoi les gens ne réussissent pas dans l’entrepreneuriat. De mon opinion, tout le monde ne peut tout simplement pas entreprendre. Car, entreprendre, c’est un état d’esprit, une aventure, une façon d’être. Être un entrepreneur, ce n’est pas seulement travailler à son propre compte ou gagner de l’argent tous les jours, remplir les caisses, faire fortune, etc. Ce n’est pas que cela être entrepreneur. Être entrepreneur, c’est aussi faire face à beaucoup de stress, beaucoup d’échecs. D’ailleurs, une des causes de la non-réussite de certaines personnes est que tous les entrepreneurs ne supportent pas l’échec. Or, si l’on ne supporte pas l’échec, on n’est pas entrepreneur. On doit échouer beaucoup de fois pour réussir, et même si on réussissait, on n’est jamais à l’abri d’un échec.

Est-ce que tout le monde peut finalement entreprendre ?

C’est un combat perpétuel qui demande beaucoup de persévérance, de volonté, de sacrifice, que ce soit au niveau professionnel ou personnel. Il y a aussi ce mythe de la solitude de l’entrepreneur, et je croyais que c’était vraiment un mythe. Mais maintenant, je le vis quotidiennement, et ce n’est pas du tout facile. C’est la raison pour laquelle la plupart des gens abandonnent car justement ce n’est pas fait pour eux. C’est cette force mentale qui manque et que tout le monde ne réussit pas dans l’entrepreneuriat. Le reste, tout ce qui est formalité, marché, monopole, cela vient tout seul quand on a toute cette force mentale. Si on ne l’a pas, cela ne marchera pas.

Comment était votre ressenti au premier client ? Premier salarié ? Premier salaire ?

Rires. J’étais heureuse. Je vous avoue que vraiment j’étais heureuse. C’était comme atteindre la cinquième case de la pyramide de Maslow. Il y avait ce besoin de réalisation. J’avais cette sensation d’avoir réalisé quelque chose qui venait de moi. J’avais le sentiment d’avoir percé. Quand j’ai reçu mon premier payement de mon premier client. C’était juste magnifique. Rires. J’étais tellement contente et je voulais justement investir dans quelques matériels. Le premier payement, c’était quand même important car c’était une somme assez importante. Ainsi, j’ai pu investir dans des matériels qui sont encore là aujourd’hui, d’ailleurs, et qui me servent encore beaucoup. J’ai pu investir dans du canapé lit, parce que j’en avais besoin au bureau car je dormais et travaillais au bureau. Car j’étais encore seule en ce moment-là, je travaillais seule, je n’avais pas d’équipe. Puis, j’ai acheté des ordinateurs et je me suis enfin achetée une connexion illimitée. Donc, voilà. Rires.

Pourquoi, selon vous, les Malagasy ont du mal à s’expertiser dans un secteur ?

Déjà, cela vient de l’éducation. En effet, notre système éducatif et nos programmes scolaires ne sont pas adaptés aux marchés de l’emploi actuels. On a beaucoup de théories, on apprend beaucoup de choses qui, malencontreusement, ne nous servent à rien une fois qu’on travaille. On a du mal, bien sûr, à nous expertiser parce qu’on ne nous a pas formés à être des experts. Enfin, il y a quand même des secteurs où on est experts, mais pour des secteurs qui ont besoin de mises à jour constantes à l’instar du monde de la technologie. Ce n’est pas le cas. Comme le cas d’un développeur web qui a besoin de s’actualiser en tout temps. Vous pouvez être le meilleur à la fin de votre cursus universitaire, mais avec le temps, vous le serez moins car la technologie évolue et il faut évoluer avec. C’est, alors, un manque de cursus scolaire et d’auto-formation que nous ne soyons pas experts en une chose, généralement.

Qu’est ce qui fait votre parcours aujourd’hui ? Et ce qui vous rend fière ?

Ce qui me rend le plus fière, c’est mon équipe. J’adore mon équipe. J’ai changé d’équipe six fois depuis la création de mon entreprise. Alors qu’elle n’a que 4 ans. Donc, mon équipe est très jeune par rapport à mon entreprise. Mais, je suis fière parce que j’ai réussi à réunir des jeunes talentueux avides d’expériences, qui ont soif de connaissances, qui sont très compétents aussi et surtout qui ne lésinent pas sur leurs efforts quotidiens pour faire avancer mon entreprise. Ce ne sont pas seulement des employés, mais des jeunes qui adhèrent à ma vision, qui se sont engagés à l’entreprise, mais qui sont là pour me soutenir tous les jours. Nous cherchons des solutions ensemble. Et cela me rend fière car mon entreprise peut tourner sans moi grâce à une équipe vraiment super soudée. Je suis fière de mon équipe. Et je n’aurais jamais cru en arriver là en quatre ans d’expériences. Je ne pourrai pas être plus fière que cela.
Je crois que mon parcours a surtout été marqué par mon premier client que j’ai eu en 2018. Et le fait que je sois sélectionnée par la TEF, Tony Emelu Fondation, pour une bourse pour entrepreneurs africains en 2019 qui nous a permis de recevoir des fonds pour pouvoir faire avancer notre entreprise. On a pu dénicher des contrats et décrocher pleins de gros marchés. Ce qui n’aurait pas été possible, deux ans plutôt. Et le fait d’avoir pu survivre à la Covid 19 aussi. Car on a dû suspendre des collaborations car on n’a pas pu suivre suivant le confinement en 2020. Mais, on a pu nous relever. Car il y avait des entreprises et des start-ups qui n’ont pas pu résister à la crise.

Si vous deviez faire une rétrospective de votre début à aujourd’hui, que diriez-vous ?

Si je devais faire une rétrospective, je dirai que ce n’est pas mal. Rires. Et si je devais tout recommencer, je recommencerais tout sans hésiter. J’aurais certainement changé certaines choses, car j’ai aussi pris des mauvaises décisions. Mais, je n’hésiterais pas à recommencer car j’ai adoré cela.

Quels étaient alors les sacrifices ?

Beaucoup de sacrifices et j’en fais encore jusqu’à présent. Ça a commencé par mon travail car j’ai travaillé dans une société. Et en 2017, j’ai arrêté car justement je ne pouvais plus suivre. Donc, j’ai tout arrêté pour me consacrer à mon projet. Il y avait aussi pleins de sacrifices personnels à l’exemple de travailler seule, j’ai dû laisser ma famille de côté à un moment. J’ai même décidé d’habiter seule car je devais vraiment me consacrer à mon projet. Pour cela, je devais travailler d’arrache-pied, je ne dormais presque pas pendant des mois. Je ne parlais à personne. Je ne regardais pas des films, n’allais pas assister à des concerts. Je ne sortais pas avec mes amis, je ne venais pas aux réunions de famille. Je ne faisais rien d’autres que travailler. Mais, cela a payé. Toutefois, au début, ce n’était guère un travail rémunérant. Je prenais surtout des stagiaires et des bénévoles. Et à un moment, les gens s’en lassaient, bien évidement.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans le vide de l’entrepreneuriat ?

Il faut avoir une préparation mentale car ce n’est pas rose contrairement à ce que l’on entend dans les success-story. Mark Zuckerberg n’est pas devenu milliardaire en un jour. Ça, il faut le comprendre, il faut faire beaucoup de sacrifices. Il faudra faire beaucoup d’études, il faudra subir beaucoup d’échecs. Mais, à part cela, il faut savoir ce qu’on aime. Il faut trouver sa passion. Ce n’est pas seulement de trouver ce qui paie ou ce qui marche. Mais, c’est aussi savoir si on aime ce que l’on va faire. Parce que vous allez le faire tous les jours, et une fois que vous allez faire tourner votre entreprise, cela ne s’arrêtera plus. Ce n’est pas du genre si vous voulez abandonner, vous abandonnez. Car même pour fermer une entreprise n’est pas chose facile. Donc, une fois que vous l’aurez créée, vous devriez savoir que vous allez l’avoir pour un long moment. Il faut aussi savoir que c’est une aventure à part entière. Si vous aimez les aventures, l’adrénaline, ces sentiments de hauts et de bas, l’ascenseur émotionnel, je vous conseille d’entreprendre. Sinon, restez bien dans les quatre murs d’un bureau ou ailleurs. Restez avec un patron qui vous semblera cool et qui vous traitera quand même bien parce que comme je l’ai dit, tout à heure, l’entrepreneuriat n’est pas fait pour tout le monde.

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