Ratsironkavana Lucka Cedric, un économiste visionnaire pour le développement de Madagascar

Madagascar est une île bien réputée de ses richesses et ressources naturelles. Plus grande de l’Océan Indien, cette nation insulaire peine à se sortir de sa situation économique désastreuse souvent critiquée par d’autres regards apolitiques. Pourtant, l’île a tout pour plaire et surtout pour s’auto-suffire. Cependant, la capacité citoyenne de jouir d’un quotidien digne , décent et humain déçoit plus d’un alors que ce ne sont pas les ressources à but rentables qui manquent. Notre interview du jour nous explique.

Pouvez vous nous dire un peu plus sur vous, s’il vous plaît ?

RATSIRONKAVANA Lucka Cedric, chercheur en Economie du développement, en particulier dans les secteurs sociaux de base (Education, Santé, WASH, Nutrition et Protection Sociale). Je suis également un YLTPien (Youth Leadership Training Programme), issu de la XVème Promotion.
Actuellement, je suis MEAL Officer (Responsable Suivi-Evaluation, Redevabilté et Apprentissage) d’un projet de développement d’urgence humanitaire nommé FIRANGA mis en œuvre par l’ONG international Catholic Relief Services (CRS) Madagascar et financé par l’United States Agency for International Developpement (USAID) et le Bureau for Humanitarian Assistance (BHA). Mon lieu d’affectation est basé dans le district de Tsihombe, région Androy. Le projet Firanga qui signifie " apporter le développement " dans le dialecte local de la région d’Atsimo Andrefana, a pour principal objectif de protéger les ménages vulnérables contre la malnutrition et la perte d’actifs productifs dans les régions Atsimo Andrefana et Androy.

En quoi consiste exactement votre travail ?

En tant que MEAL Officer, je suis chargé, d’une part de mesurer la progression des activités du projet vers les résultats et les objectifs escomptés afin d’en évaluer la portée et les apprentissages qui en découlent pour avoir une amélioration continue du projet. Les principales activités se portent sur la distribution des vivres et cash transfert, la nutrition et la prise en charge des enfants atteints de la malnutrition aigüe modérée. D’autre part, je supervise les agents de terrain dans les collectes de données issues des enquêtes qualitatives et quantitatives afin d’en tirer une analyse approfondie nécessaire à l’atteinte des objectifs du projet.

Depuis quand l’avez-vous et pourquoi ce choix de métier ?

J’ai récemment rejoint la grande famille du Catholic Relief Services Madagascar depuis Mai 2022. Mais, mon expérience en tant que responsable Suivi-Evaluation remonte depuis mon début de mon parcours professionnel, c’est-à-dire en 2017.

Pourquoi être un responsable Suivi-Évaluation? Eh bien, ce domaine est en parfaite adéquation avec mon parcours académique. De plus, je suis à l’aise avec les analyses et les recherches qualitatives et quantitatives, en particulier dans la gestion de bases des données. À part cela, œuvrer dans la gestion d’un projet de développement local fait partie de mes objectifs professionnels d’où le choix de ce métier.

A Madagascar, le seuil de pauvreté est bien plus connu devant le monde entier, quelles seraient les explications, selon vous ?

La Banque Mondiale a récemment réajusté le seuil de pauvreté passant de 1,90 $ (~7 575 Ar) à 2,15 $ (~8 572 Ar) qui entrera en vigueur dès l’automne 2022. Autrement dit, toutes personnes vivant en dessous de 2,15 $ / jour seront considérées extrêmement pauvres, selon cette institution de Brettons Woods. A cet effet, une grande majorité de la population Malagasy va être basculée dans l’extrême pauvreté compte tenu des agrégats macroéconomiques actuelles (PIB/tête = 511 $, revenus nationaux faibles, IDH faible) .

Comment expliquer ce constat ? En tant qu’économiste, j’avance très particulièrement deux facteurs importants à savoir : une faible création de richesse et une insuffisante des investissements dans les secteurs sociaux de base. En effet, d’une part, l’économie malgache est généralement basée sur une économie de service (commerce) qui n’est autre que d’acheter et de revendre à court terme pour espérer avoir un profit élevé.

Autrement dit ?

Autrement dit, aucune transformation des matières premières n’est envisagée sur le long terme afin de créer une valeur ajoutée sur toutes les chaines de productions et par la suite soutenir la croissance économique. D’autre part, les secteurs sociaux de base tels que l’éducation, la santé, la nutrition, WASH et la Protection Sociale sont en déclin. Equivalent à dire que les investissements publics dans ces secteurs sont insuffisants afin de garantir un développement durable. A cet effet, Madagascar n’arrive pas à promouvoir un capital humain qui n’est autre que la base d’une croissance économique inclusive et soutenable sur le long terme.

Vous avez un exemple plus concret ?

Afin d’illustrer ce constat, si l’on ne peut que citer dans le secteur de l’éducation et en se référant au scénario « optimiste » du Plan Sectoriel de l’éducation (PSE), les dépenses allouées à l’éducation vers 2030 ne seront que de 88 USD par élève pour le préscolaire ; 100 USD pour l’école primaire et 145 USD pour le secondaire à Madagascar. Alors que pour assurer une éducation de qualité, une étude effectuée par Wils A. en 2015, et qui a été utilisée pour l’élaboration du rapport mondial sur le suivi de l’éducation pour tous, estime que la dépense publique par élève est de 350 USD par an dans l’école préscolaire ; 200 USD dans l’école primaire et 300 USD dans l’école secondaire. Ainsi, les dépenses prévues pour réaliser le Plan Sectoriel de l’éducation en 2030 ne permettront pas encore de répondre aux critères d’une éducation de qualité, et par conséquent un capital humain faible voire insignifiant.

Madagascar est aussi riche en tout, pourquoi n’arrive-t-il pas à jouir d’un développement certain ?

Le développement est avant tout un processus à long terme qui a des effets durables. Quand on parle du développement, on se réfère toujours à la définition classique de l’économiste français François Perroux. Selon lui, le développement est « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel et global ». A Madagascar, le développement est une énigme et un paradoxe.

En effet, le pays n’arrive pas à sortir du cycle infernal de la pauvreté malgré ses richesses naturelles notamment en matières premières (minerais, ressources halieutiques, …) dont il dispose. Compte tenu de la définition du développement mentionné ci-haut, Madagascar n’arrive pas à croitre cumulativement et durablement sa production économique entraînant le pays dans un cercle vicieux de la pauvreté.

Nous avons des économistes diplômés comme vous, qu’est ce qui fait que l’économie ne soit pas comprise par tous ? Et-ce un souci d’orientation ?

L’économie est une science sociale multidisciplinaire. Elle embrasse d’autres sociales telles que la science juridique, l’anthropologie, … Toutes ces disciplines doivent collaborer ensemble afin de trouver une feuille de route marquée par une vision de développement commune afin de sortir Madagascar de cette récession économique majeure. Mais, les points de vue divergent, ce qui rend l’incompréhension très récurrente et rude.

Force est de constater que le pays dispose des élites très diplômés venant même des grandes écoles et des facultés de renom à l’extérieur, ce qui devrait accélérer le processus de développement. Hélas, le maître mot est toujours « Diviser pour mieux régner » laissé par le les colons et qu’on véhicule toujours jusqu’à présent. Même entre économiste, la collaboration est très difficile ce qui fait que l’économie ne soit pas comprise par tous.

Qu’est ce qui fait que Madagascar si trouve dans cette situation ?

La situation désastreuse de Madagascar est très logique et compréhensible compte tenu des grands fléaux mentionnés plus hauts : création de richesse faible, insuffisance des investissements dans les secteurs sociaux de base, pas de vision de développement commune, prédation, et j’en passe.

Tout cela n’est d’ordre économique, mais différents facteurs peuvent également expliquer la situation actuelle de Madagascar tels que les crises politiques cycliques, les effets et les impacts du changement climatique surtout sur le littoral, les influences diplomatiques calomnieuses venant de l’occident qui ne cherchent qu’à exploiter économiquement et socialement le pays pour servir leur propre intérêt, etc.

Quels conseils donneriez-vous aux citoyens Malagasy pour lutter contre la situation actuelle ?

Le développement est un processus multi-acteurs. Autrement dit, il doit être inclusif. Tous les acteurs de développement (citoyens, élus, gouvernement, les sociétés privées, les religieux, les associations, les organismes non-gouvernementales, …) doivent avoir une part de responsabilité et de redevabilité pour le pays afin d’assurer un partage très égalitaire du fruit de la croissance économique dans l’ultime but de promouvoir un développement durable.

Aussi une prise de conscience générale

Une prise de conscience et une vision de développement commune de tous ces acteurs sont nécessaires pour sortir Madagascar dans la situation actuelle. Par la suite élaborer un programme national de développement axé sur les secteurs moteurs (agriculture, élevage, pêche, produits de rentes, minerais, tourisme, …) est primordial, toutes chose égales par ailleurs. Et par effet d’entraînement, ces secteurs moteurs vont soutenir les autres secteurs tels que les services, les industries lourdes, technologies, … afin de soutenir la production nationale et hisser le revenu national.

A titre d’exemple, investir massivement dans le secteur de l’eau en installant des forages et des pipelines à grande échelle (tiré depuis la grande fleuve d’Efaho) dans la région Androy pour libérer totalement les communautés locales de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition et pour promouvoir la production économique locale.

Mais tout cela nécessite une bonne gouvernance, une transparence, un capital humain, une fraternité et une cohésion solide de tous les acteurs de développement à commencer au niveau des fokontany pour espérer un futur meilleur.

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